Paris.

La sonnerie du magasin retentit. Je détache les yeux de mon bouquin et affiche mon plus beau sourire commercial afin d’accueillir la première cliente de la journée.
— Bonjour, Madame, lancé-je d’un ton que j’essaie de rendre chaleureux en dépit de l’heure matinale.
Mais la Madame en question a dû se lever du pied gauche. Elle ne me rend pas mon salut et m’ignore royalement. Je ne la quitte pas du regard tandis qu’elle se déplace dans la boutique de prêt-à-porter. Elle n’a pas enlevé ses lunettes de soleil malgré la lumière tamisée du magasin. Elle doit sans doute cacher des cernes disgracieux. Je la devine soixantenaire, certains éléments ne trompent jamais : épais manteau en fourrure noir, talons hauts aux bouts pointus, cheveux peroxydés et manucure parfaite. Cette dame ne fait pas partie de la clientèle habituelle. Dentelle et soie attire plutôt un public aux portemonnaies radins. Les bons jours, je parviens à vendre un foulard, un sac à main ou une paire de boucles d’oreilles, tout au plus. La boutique, qui se veut soi-disant bohème chic, offre du Made in China à des prix exorbitants. 
Qui peut se permettre cela de nos jours ?

Néanmoins, cela n’a pas l’air de déranger cette dame qui observe les pulls en faux cachemire d’un air intéressé.
Je ne dois pas la laisser filer, pensé-je à contrecœur.
Je n’aime pas arnaquer les gens, mais si je ne fais pas ce que l’on m’ordonne, je risque de me retrouver sans travail…
— Puis-je vous aider ? lâché-je avec toute la bonne volonté du monde.
La femme braque ses lunettes imposantes vers moi.
— Je pense que oui, jeune demoiselle.
Sa voix est irritante, trop pour la sensibilité de mes oreilles. De plus, elle a prononcé « jeune demoiselle » de manière douteuse.
Je dois avoir trente ans de moins que toi, pensé-je, légèrement aigrie.